Monastère des dominicaines de Lourdes

 

Le portement de croix

Lecture

Les Juifs prirent donc Jésus, qui, portant lui-même sa croix, sortit de la ville pour aller vers le lieu dit du Crâne, qu’on appelle en hébreu Golgotha (Jn 19, 16-17).

En sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène, du nom de Simon ; ils le réquisitionnèrent pour qu’il porte la croix (Mt 27, 32).


Méditation

Jésus est emmené pour être crucifié. En sortant de la ville, Simon de Cyrène est réquisitionné pour porter sa croix (Mt 27, 31-32). — En réalité il porte seulement la poutre transversale de la croix, car la poutre verticale était directement plantée en terre —. Mais Jésus a déjà fait un certain trajet, à l’intérieur de la ville, en portant lui-même la croix, comme l’indique l’évangile de saint Jean. La via dolorosa, que les pèlerins de Jérusalem sont invités à parcourir, en commémore le souvenir.

Celui qui porte le monde porte sa croix

Jésus est le Fils de Dieu : il soutient l’univers par sa parole puissante (He 1, 3), il lui donne d’être par sa parole vivante et vivifiante. Il ne soulève pas un poids, il communique son amour qui donne la vie. L’œuvre de création est « légère » !
Jésus, le Fils de Dieu devenu homme, porte maintenant le bois équarri par nos péchés. Mais il n’en va pas comme pour l’univers : nos péchés sont un poids qui fait ployer la Vie.
Le péché, en effet, va à l’encontre du mouvement créateur, d’où son poids, et un poids très lourd, un poids de mort, un poids qui cherche à empêcher la vie de se répandre. Jésus est venu justement pour relancer le mouvement de la création dans notre monde pécheur. Cela peut sembler étrange, car spontanément nous situons la création dans un lointain passé, au commencement ; mais la création est un don qui est fait aujourd’hui. Elle prend une forme particulière, parce qu’elle se réalise dans un monde pécheur, dans un monde idolâtre. La création se fait alliance.
Jésus, en portant sa croix, porte donc le poids de nos péchés pour sceller une nouvelle alliance dans son propre sang, pour faire surgir la vie de la mort.
Seigneur Jésus, Dieu Tout-Puissant, toi qui portes sans fatigue le poids du monde entier, tu portes avec une grande fatigue le fardeau de tous nos péchés. Ta Providence nous soutient à chaque instant et nous donne la vie corporelle ; par la croix que tu portes, purifie-nous de notre péché et fais-nous entrer dans ton alliance.

Trois chutes

Jésus est tombé sous le poids de sa croix ; il est tombé plusieurs fois, épuisé par les mauvais traitements, par le sang versé, par l’absence d’alimentation depuis la veille, par une nuit sans repos. Mais la tradition a gardé le souvenir de trois chutes, la troisième ayant eu lieu alors que Simon l’avait déjà déchargé de sa poutre de bois. D’ailleurs, si les soldats ont dispensé Jésus de la porter jusqu’au lieu du supplice, ce n’est pas par compassion, mais bien parce qu’il ne tenait plus debout. Marc nous dit même qu’ils « l’amènent au lieu dit Golgotha » (Mc 15, 22) ; ce qui laisse penser qu’ils y ont tiré Jésus.
Trois chutes ! Trois est un nombre qui indique la perfection : il y a trois chutes comme il y a eu trois tentations (Mt 4, 1-11). Jésus n’a pas succombé aux tentations de Satan, mais il tombe sous le poids du péché de ceux qui y succombent. On peut dire que chaque chute fait écho à une des tentations.
La première chute est provoquée par le poids de notre convoitise. Celle-ci fait de nous ses esclaves, dans le désert de la vie que nous traversons. Le désert, c’est le lieu où le manque se fait sentir. L’homme, ne trouvant pas ce qu’il désire, cherche à remplir le creux de son être avec des biens terrestres, dont le premier est la nourriture. Tous les biens de consommation peuvent avoir un effet identique. Comme le disait un évêque, la persécution la plus raffinée et la plus sûre à l’égard des chrétiens consiste à les saturer de biens de consommation : la satiété émousse l’élan de leur désir, tandis que la persécution ouverte le renforce. Jésus chute sous le poids de notre désir englué dans l’abondance et le plaisir. Il prend sur lui le poids de notre péché pour nous faire entrer dans son jeûne. Il veut mettre tout notre être en état de vigilance, réveiller le désir de Dieu, de sa Parole, pour qu’à l’heure où le Tentateur s’approche notre cœur soit éveillé.
La deuxième chute est provoquée par le poids de la vanité. Ce n’est pas sans raison que le diable a conduit Jésus sur le pinacle du Temple : le haut lieu de la capitale ! Le vaniteux a besoin d’être vu, de se faire valoir. Tout le monde doit connaître le bien qu’il fait et l’admirer.
La troisième chute est provoquée par notre orgueil. Jésus n’a-t-il pas été conduit sur une montagne, symbole de l’orgueilleux qui veut dominer le monde ? Alors que la vanité est une grandeur illusoire et sans fondement, l’orgueil s’appuie sur une grandeur réelle. Mais l’orgueilleux, au lieu de reconnaître Dieu comme la source de ce don, se l’approprie. La quête du pouvoir peut aller jusqu’à la soumission à Satan : c’est d’ailleurs l’objectif visé par l’Eglise sataniste.
L’avoir, le paraître et le pouvoir : voilà les trois causes des chutes de Jésus. Mais il leur apporte un remède : il porte sa croix. Il vient non dans la puissance, mais dans l’humilité. Il est Fils de Dieu, vivant de son lien indéfectible à son Père ; ce n’est pas un titre qui donne la puissance.
Jésus, Fils unique de Dieu, Verbe fait chair, toi qui as résisté aux tentations de Satan dans le désert, tu ploies sous le poids du péché de tous ceux qui l’ont écouté. Que ta victoire sur Satan nous obtienne de ne pas succomber à la tentation.

Associés au portement de la croix

Un paysan, Simon de Cyrène, se trouve sur le chemin de Jésus : il rentrait chez lui, après une longue matinée passée dans les champs (Mc 15, 21). On le réquisitionne pour porter la poutre de bois : Jésus ne voulait pas en effet porter sa croix tout seul, il voulait être aidé. Ce Simon, c’est le premier venu, c’est chacun de nous. Il aide Jésus, il prend une petite part de ses souffrances. Mais Jésus continue à porter tout le poids du péché : personne ne peut le porter à sa place. D’où la troisième chute.
Jésus seul est le médecin qui nous rend la santé, qui nous communique la vie divine ; mais il n’a pas voulu accomplir notre salut tout seul. Il invite chacun à prendre part à ses souffrances et à alléger, par son amour, le poids des péchés. Nous sommes au cœur de la pénitence chrétienne.
La pénitence a trois dimensions : la conscience du poids du péché, la communion aux souffrances que Jésus a endurées en le portant, et l’amour qui fait abonder la source d’eau vive dans le monde. Saint Dominique nous en donne un parfait exemple : « Il crucifiait sa chair tous les jours et il mortifiait ses membres par des austérités excessives, et son esprit par une douleur pleine de compassion pour les âmes qui périssaient sans cesse. Il y avait dans son cœur un désir étonnant et presque incroyable du salut de tous  ».
La communion aux souffrances de Jésus peut se réaliser par les souffrances volontaires — ainsi peuvent se comprendre toutes les pénitences étonnantes des saints — mais aussi par les souffrances inhérentes à toute existence humaine, librement assumées et offertes. Le poids de l’amour l’emporte sur le poids du péché. L’amour se fait compassion, intercession, union au désir de Jésus : voir enfin le feu de la charité embraser le monde. Il ne faut pas oublier la mystérieuse participation aux souffrances du Christ de tous ceux qui ne le connaissent pas encore, qui souffrent dans une nuit complète et une grande solitude. Ils sont Simon de Cyrène. Tous, qui que nous soyons, nous sommes donc pris dans la communion du Corps du Christ.
Porter sa croix : c’est ce que le Seigneur a fait, ce à quoi il appelle tout disciple. Pas de suite du Christ sans cela : « S quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24).
Seigneur, prends-nous avec toi. Que toutes nos souffrances nous associent à ta Passion. Que ton amour y mette le poids d’amour qui les fera contribuer au salut des hommes.

Jésus rencontre sa mère

Marie a suivi son fils chaque fois qu’elle le pouvait, pendant les trois années de sa vie publique. Comment aurait-elle pu l’abandonner dans les heures de sa passion ? Elle était au pied de la croix, terme de la montée vers le Golgotha, nous dit saint Jean. Mais la tradition ne s’y est pas trompé : elle a suivi, avec Jésus, le chemin interminable de la via dolorosa. Elle ne l’avait pas abandonné, elle était là, mêlée à la foule. Elle repensait aux angoisses de la fuite en Egypte, aux trois jours passés à chercher Jésus dans Jérusalem, lorsqu’il était enfant ; mais ces heures douloureuses n’étaient qu’un prélude. En le voyant porter sa croix, un glaive de douleur transperce son cœur (Lc 2, 35). Maintenant elle comprend en toute clarté la prophétie de Syméon.
Par moment elle pouvait s’approcher, croiser le regard de son fils. Quelle compassion, quelle foi, Jésus n’a-t-il pas lu dans le regard de sa mère ! Mais aussi quelle souffrance : le Fils de Dieu, son fils, était traîné vers le supplice, comme s’il avait fomenté un coup d’Etat…
Douce Mère, Vierge fidèle, tu as toujours été présente aux côtés de Jésus. Aux heures d’épreuve et de douleur, lorsque nous le suivons en portant notre croix, lorsqu’il semble dormir dans notre barque, que ton exemple nous redonne courage.

 

Prière

Prions pour ceux qui ploient sous le poids des épreuves. Que Marie, Consolatrice de ceux qui pleurent, les accompagne de sa douce présence.

 

Contemplation

Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce,
le Seigneur est avec toi,
tu es bénie entre toutes les femmes
et béni le fruit de ton sein,
Jésus,
- qui porte l’univers par sa parole
- qui porte le poids de nos péchés
- qui ploie sous le poids de notre volonté de posséder
- qui ploie sous le poids de notre volonté de paraître
- qui ploie sous le poids de notre volonté de dominer
- que Simon aida à porter sa croix
- qui a donné l’exemple de la pénitence
- qui nous invite à porter notre croix
- que tu as suivi sur son chemin de croix
- qui as été réconforté par ta compassion
Sainte Marie, Mère de Dieu,
prie pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort
AMEN.


Thierry d’Apolda, Légende, 42.

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